domingo, 11 de febrero de 2018

Pourquoi la Corse n’aurait-elle pas droit au même traitement que la Nouvelle-Calédonie ? La conception libérale de la nation en eaux troubles



La Corse n’est pas la Nouvelle-Calédonie. Fort bien. Elles sont même très différentes. Tellement différentes que l’une peut se séparer de la République – un référendum sur l’indépendance est prévu cette année - et pas l’autre. Or comment justifier ce traitement différencié ? Bien sûr, nous connaissons la réponse juridique. Le droit international prévoit pour les peuples colonisés un droit à disposer d’eux-mêmes. Et la Constitution de la Ve République a intégré cette disposition de droit international. Masi c’est plutôt la question du fondement démocratique et moral de la réponse précitée qui a attiré mon attention dans cette bousculade entre les agendas politiques corse (autonomiste) et calédonien (référendum sur l’indépendance) : quelle est la raison qui doit nous incliner à penser que ce qui est démocratiquement légitime dans un cas ne le serait pas dans l’autre ? Il convient de s’intéresser à la conception de la nation que nous chérissons en démocratie, la conception libérale, dite aussi « civique », pour comprendre que nous sommes là face à une contradiction.
 
C’est à Renan, mille fois cité et convoqué dès qu’il est question de nation, que revient l’honneur d’avoir trouvé un fondement démocratique et volontariste (le consentement) à l’appartenance nationale, par opposition au fondement ethnique ou culturel. On se souviendra que Renan raisonnait – d’une manière certes un peu opportuniste - à propos de l’Alsace et de la Lorraine, territoires de culture allemande, mais dont l’appartenance nationale devait reposer, disait-il, sur la volonté des populations concernées. L’Alsace et la Lorraine devaient pouvoir décider de leur appartenance nationale, car c’est la volonté des citoyens qui doit primer en démocratie. Nous reconnaissons bien là la conception de la nation que nous chérissons, comme je le disais, dans les démocraties libérales. Or, qu’est-ce que l’on voit quand on essaie de comparer l’attitude de la République à l’égard des revendications calédoniennes et corses ?

D’une part, la République montre son visage le plus libéral et démocratique dans la gestion des revendications calédoniennes. Les Calédoniens veulent disposer d’eux-mêmes et il n’est pas question qu’ils restent rattachés à la République contre leur gré : voilà qu’on met en place une consultation référendaire qui devrait permettre à la population concernée d’exprimer soit son attachement à la nation française, soit sa volonté de créer un Etat indépendant. Jusque-là, tout se passe selon la bonne logique libérale de la conception civique ou volontariste de la nation. 

D’autre part, la République fait montre de rigidité à l’égard des revendications corses. Comme le rappelait Manuel Valls, aujourd’hui les nationalistes demandent la coofficialité du français et du corse, mais « dans quinze ans, ils se considéreront en droit de demander une consultation sur l’indépendance ». En bonne logique démocratique, la question pourrait être : et alors ? Et surtout : pourquoi ce qui est accepté dans un cas (Nouvelle-Calédonie) ne le serait pas dans l’autre ? Pourquoi la volonté de la population concernée devrait être écoutée dans un cas et pas dans l’autre ? J’insiste : ce n’est pas la réponse juridique précitée qui m’intéresse, mais le fondement politique, idéologique ou moral qui soutient ce traitement juridique différencié. Car, à y regarder de près, quelqu’un de malicieux pourrait penser que ce qui se cache au fond derrière cette attitude n’a rien de bien libéral ou renanien, mais renverrait plutôt au fondement ethnique de l’appartenance nationale : une population géographiquement éloignée de la France, dont la composition et les mœurs sont considérées différentes, pourrait se voir accorder le droit d’exprimer démocratiquement son souhait de s’organiser en tant qu’Etat séparé ; alors qu’une population plus proche géographiquement, dont la composition et les mœurs seraient jugées comme étant bien françaises (Manuel Valls encore : « La Corse n'est pas la Nouvelle-Calédonie! La Corse est une île méditerranéenne profondément française », la Nouvelle-Calédonie, faut-il comprendre, le serait moins ?), n’aurait pas le droit de s’exprimer sur son appartenance à la nation. 

Nous pouvons tourner la question dans tous les sens et chercher dans le refuge légal (le droit international et la Constitution) toutes les excuses que l’on voudra, mais si la volonté des populations qui composent une nation n’est pas systématiquement prise en compte lorsque des demandes nationalistes ou indépendantistes émergent, il faut alors dénoncer la conception civique ou libérale de la nation comme étant une supercherie et souligner cette contradiction démocratique : les populations peuvent s’autodéterminer à raison de leur profil ethnique différencié (ou considéré tel), mais elles ne le peuvent pas si leur volonté d’autodétermination n’a pas une base ethnique. Une insupportable contradiction.

            

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